motager de poèmes

Quelques-uns des poèmes pour enfants
écrits par Philippe Berthaut

 

 

12 poèmes choisis

Ce matin en me levant
L’entraînement du poète
L'entraînement du poème
Un jour tu prends un mot masculin
C’est ainsi que l’air naquit
C’était grand jour de libellules
Pourquoi les mots
Le fabricateur de poèmes
Il y a dans ta maison
Le jour du supercharmé
Sur le seuil de sa cabane
Les mots parfois

 

 

Ce matin en me levant

J’ai cherché un poème
(Que j’avais écrit il y a bien longtemps
Mais que j’avais perdu)
J’ai fouillé dans le tiroir
Où je mettais mes chaussettes
J’ai trouvé une arbalète
Que je n’avais jamais vue
J’ai vidé toute l’armoire
Tous mes habits sont tombés
J’ai regardé sous le lit
Il y avait des chaussures
Des voitures des jouets
Mais aussi de l’écriture
Dans un tout petit carnet
Je l’ai ouvert vite vite
Trop car les mots ont glissé
Dans une boîte à surprises
Qui soudain s’est refermée
Sur mon poème oublié.
Bah ! tant pis ! dit l’arbalète
Tu n’as qu’à en écrire un autre.
Mais je ne pourrais jamais
Ecrire le même poème !
T’as raison dit le miroir
Je l’ai vu se renverser
T’as qu’à t’ouvrir boîte à surprise
Au lieu de nous faire bisquer !
Et la boîte s’ouvrit surprise
Sur mon poème oublié
Qui s’était tout ratatiné!
Je crois que j’ai un problème
Comment ai-je pu penser
Que mon poème survivrait
C’est comme ça dit le carnet
Un poème qu’on ne lit pas
Ne survit pas.
Y a rien à faire y a qu’à lire
D’autres poèmes mieux écrits
Et les conserver dans la tête
Pour pas que le cœur les oublie.

Ecoute par exemple

Le chant léger des oiseaux
glisse dans la nuit qui traîne

Près du glacis des fontaines
que l’hiver a enlacées

Le chant léger des oiseaux
c’est la laine des fontaines
Quand le gel a figé l’eau.

La pluie c’est tout autre chose
elle plie les gouttes en rideau

Et nos yeux sont des fenêtres
Que l’orage remplit d’eau.

 

 

 

L’entraînement du poète

L’autre jour je suis allé
Voir un poète s’entraîner
Juste avant d’écrire un poème
Il s’est levé des deux pieds
A bu son café
En mangeant quelques tartines.
Tout en beurrant ses tartines
Il cherchait des rimes des rimes avec le mot tartine
Ne trouva que mandarine
Dont il enleva la peau
Il la mangea dans sa tête
La mangea comme un glouton
Le jus coulait sur sa barbe
Un poète qui s’entraîne
Vaut mieux pas le regarder
Ni peut-être vivre avec
Ensuite il prit un panier
Alla faire son marché
Il acheta des poireaux
Un chou-fleur de la salade
Des avocats puis soudain
Il demanda haut et fort
Un kilo de verbes bananes
2 pronoms oignons
Une conjonction concombre
Des conjugaisons de cerises
Une frisée adjectif
Un bouquet d’épithètes persil
Une barquette de fraises phrases
Une botte d’adverbes asperges
Et un article artichaut
Il revint les bras chargés
De ses légumes de langage
Qu’il se mit à éplucher
Il garda les épluchures
Et décida ce matin-là
D’écrire le poème des épluchures

Epulu épulu épulu chures

 

 

L’entraînement du poème

L’autre jour je suis allé
Voir un poème s’entraîner
Juste avant de se faire écrire par un poète

D’abord il a dû aller réveiller ses lettres
Mais comme vous le savez
Elles ne dorment pas toujours
Dans le dortoir du dictionnaire
Alors il faut les chercher
Un peu partout dans la ville
BOULANGERIE c’est facile
Y en a déjà onze d’attrapées
A l’Hôpital je prends le H
Au Parking le P est prêt
Le Z était au cirque sur l’affiche Zavatta
Les WC étaient ouverts
F était chez le coiffeur
J faisait du Ju-Jitsu avec le S et le T
K et Q étaient au kiosque
En train de lire un journal
D criait chez le dentiste
V et Y achetaient des billets pour partir en voyage
M indiquait le métro
Tandis qu’un bus passait avec un X sur son nez

J’ai tous mes hommes dit le poème
Faut que je les fasse courir
Et soudain un ballet superbe
S’empara des 26 lettres
Presque toutes s’allumèrent
On aurait dit que du sang
Bleu, vert, rouge, violet, jaune
Coulait dans leurs veines
C’est très beau dis-je au poème
Attendez ce n’est qu’un début
Les choses sérieuses commenceront plus tard
Quand les lettres seront éteintes
Dans le secret d’une chambre
Quelque part.

 

 

Un jour tu prends un mot masculin
Tu y joins un adjectif que tu mets au féminin
Par exemple un jour ouverte
Arrive le gommeur de mots
Le justicier d’orthographe
Il arrache l’e d’ouverte

Mais toi ça ne te va pas
un jour ouvert
c’est un jour où il faut se lever tôt
un jour ouverte ça fait mieux

d’abord ça met de la couleur ça surprend
il y a une surprise quelque part qui nous attend
lorsqu’on dit un jour ouverte
et puis elle n’est pas finie cette phrase

c’est comme ça que t’as compris
qu’autre chose voulait se dire

un jour ouverte la porte

et tu es parti.

 

 

C’est ainsi que l’air naquit
Au tout début de l’univers
Quand le soleil était en verre
Et les poissons couchés dans l’eau
A rêvasser d’un autre monde
Où ils seraient de vrais oiseaux.

Dans le mot oiseau y a de l’eau
Mais il n’y a pas d’air
S’il y avait un r cela ferait roiseau

Et moi dit alors le roseau ?
Je deviens quoi ?
Mettez votre r un peu plus loin
Et cela devint oriseau

Cette fois celui qui râla ce fut l’horizon
« je veux pas je veux pas je veux pas » dit-il
rouge de colère
Au moment de se coucher.

Oisereau dit le passereau
Mais il n’a pas dit pourquoi
Oisearu c’est trop tordu
Attendons que l’air nous revienne

 

 

C’était grand jour de libellules
(hélicoptères des insectes)
Le vrombissement tout doux de toutes leurs ailes
Nageait dans la chaleur d’été
( comme si la chaleur avait trouvé son bruit)

C’était grand jour d’hirondelles
(estafettes des oiseaux)
Pour fêter leur retour d’Afrique
Les nids vides se mirent à chanter
(comme si le printemps avait trouvé son chant)

C’était grand jour de corneilles
(cornemuses des peupliers)
Venues encercler le brouillard en le trouant avec leurs becs
(comme si la vallée avait trouvé son cri)

C’était grand jour pour les abeilles
(ces butineuses du soleil)
Vite vite elles buvaient le nectar des dernières fleurs
(comme si l’automne rendait son dernier miel)

C’était grand jour pour tous les hommes
Un jour où tous étaient vivants
Où aucun mort n’est mis en terre

 

 

Pourquoi écrire des poèmes
qui ne nous protègent pas
de la guerre.

Parce que…

Pourquoi écrire des poèmes
qui ne nous protègent pas
de la misère

Parce que…

Pourquoi écrire des poèmes
qui ne nous protègent pas
de la maladie

Parce que…

Pourquoi écrire des poèmes
Qui ne nous protègent pas
de la mort

Parce que les mots
sont notre désir
de ne plus jamais la guerre
ne plus jamais la misère
ne plus jamais la maladie

Quant à la mort que veux-tu faire ?
elle fait partie de notre vie

elle est notre poème aussi.

 

 

Le fabricateur de poèmes

Ca m’énerve ça m’énerve
De ne pas savoir trouver
Le poème que je voudrais
Voir tomber tout rôti sur la page.
C’est un manque d’inspiration ?
Et pourtant j’inspire/j’expire
Je fais bien ma respiration
Mais aucun poème n’arrive
Ça m’énerve au plus haut point.
J’avais envie d’un beau poème
Qui me fasse vraiment du bien
Avec des images superbes
Que j’aurais vraiment inventées
Un truc comme écureuil agile
« Ouais mais l’écureuil est agile
« On le sait déjà t’as rien inventé »
Si je dis à Gilles ?
« C’est pas un poème c’est la vérité 
J’étais avec lui quand il l’a trouvé. »
Ecureuil fragile ?
Là c’est déjà mieux
Ecureuil fragile
Tu vas te casser
Et pourquoi veux-tu qu’il se casse
Un écureuil ça sait courir
D’arbre en arbre dans la forêt
Ecureuil fragile
Aux pattes d’argile
(c’est à cause de la couleur)
On dirait une flaque de terre
Qui court dans les airs
« Pourquoi on dirait ? »
Bon ! Je le supprime
Ecureuil fragile
aux pattes d’argile
Une flaque de terre
court dans les airs


Oh ! On dirait un haï-Ku.
C’est quoi un haï-ku ?
Un petit poème japonais.

 

 

Il y a dans ta maison
Il faut bien que tu le saches
Un endroit fait tout exprès
Pour écrire des poèmes
Il suffit de le chercher

Ce peut-être à la table
Où personne ne se met
Tu sais il y a une lampe
Tu n’auras qu’à la pousser
Tu t’assois et tu essaies

Aucun poème n’arrive ?
C’est ailleurs qu’il faut chercher !

C’est peut-être à la fenêtre
Là où tu poses ton front
A la fenêtre du salon
D’où tu regardes en hiver
le givre sur le fil de fer
Faire danser le pic-vert

Aucun poème n’arrive ?
C’est ailleurs qu’il faut chercher !

Peut-être sur la plus haute marche
De l’escalier du palier
Où tu aimes te poser
Quand tu es seul pour rêver

Et là soudain un poème
Se met à dégringoler
Jusqu’au bas de l’escalier

Mais ce n’est pas un poème
C’est toi qui viens de tomber
Tu dis que quelqu’un t’a poussé

Et si c’était le poème
Qui voulait soudain t’aider !
Il y est allé un peu fort
Je suis d’accord avec toi
Mais il y a des poèmes si pressés de sortir
Qu’ils ne savent plus ce qu’ils font
Et peut-être qu’un beau poème
Mérite qu’il faille tomber
Tout au bas de l’escalier
Avec trois côtes fêlées.

 

 

Un jour le supermarché
A voulu bouger ses lettres
A moins qu’un sorcier/sourcier
N’ait voulu s’enorgueillir
De savoir ensorceler

C’est ainsi que fut fait
Au fronton du magasin
Le mot de "supercharmé".

Alors on entendit dans la maison
Où vas –tu ?
Au supercharmé !
Que vas-tu acheter ?
Des baguettes ! Des potirons !
De la bave de crapaud !
N’oublie pas les amulettes !

Oui il y eut des histoires
Le jour où le supermarché
Est devenu supercharmé.

En voici une. Elle est curieuse. Vous pouvez ne pas y croire. Ca m’est complètement égal. J’avais pris mon caddie royal, celui qui porte un blason sur le coté droit et me dirigeais vers le rayon boucherie pour acheter du beef haché. A peine j’étais arrivé que dans un désordre incroyable, sur une musique de Mozart, tous les morceaux de viande cherchaient à se remettre ensemble pour former l’animal qu’on avait coupé en morceaux. Mais les morceaux se recollaient de manière un peu farfelue. L’agneau avait une tête de dinde et une queue en tire-bouchon. La vache avait des boudins pour cornes et le veau des pattes de canard. Le rayon boucherie était devenu une ménagerie de chimères. Au rayon poissonnerie les dorades avaient des pinces, les huîtres des nageoires et les maquereaux sentaient l’ail. Et plus loin les légumes qui avaient déchiré leurs protections en plastic redessinaient un potager au milieu des cageots en bois qui, petit à petit redevenaient des arbres. Là encore ça allait. Mais au rayon des conserves, toutes les boîtes s’ouvrirent et l’on vit apparaître comme un paysage de campagne en train de se recomposer: les petits pois, les épinards et les flageolets formaient les prés et les collines, les choucroutes, des saules pleureurs, les pâtes des chemins de terre, les sardines des toits de lauze. Les huiles remplirent des lacs parfois colorés de vinaigre ; les vins des ruisseaux de sang. Ensuite j’ai fermé les yeux, car j’étais soudain terrifié à la vue du monde qui changeait à la vitesse effrénée d’une tornade. Lorsque je les ai rouverts, tout s’était remis en place. Il paraît que cela arrive quand on a beaucoup rêvé que le monde soit changé et que ça ne s’est pas fait. Parfois cela éclate au grand jour, le jour du supermarché.

 

 

Sur le seuil de sa cabane
Vivait un poème maudit
Maudit parce qu’il était mal dit
Quand les enfants le récitaient

L’un faisait la yoyo musique
De monter et de descendre
Sans trop savoir où aller
(du genre c’est comme ça qu’on fait)
Le poème en est malade.

Un autre estropiait les vers
(ce qui fait très mal aux pieds)
Un autre butait sur les mots
Qu’il prononçait vraiment mal
Cela fait souffrir les mots
Mais personne ne le sait

D’autres encore écorchaient
Certains mots (quelle barbarie !)
Les mots écorchés saignaient
Et l’encre devenait rouge
Dans la marge du cahier

Un autre ne faisait pas la liaison
Et les mots tout perdus erraient
Dans des phrases abandonnées.

Ce qui fit que chaque fois
Que sur le seuil de sa cabane
Le poème maudit voyait
Venir un enfant l’avaler
pour l’ensuite réciter
Il prenait ses iambes à son cou
Et allait se cacher dans un livre
Où personne n’irait le chercher

Un livre de poésie moderne
où les mots ne s’écrivent plus
Dans l’ordre des poèmes anciens

Ils se baladent un peu partout
E n petits groupes ou tout seuls
Pour les réciter tu peux repasser
Cela ne vient plus à l’idée de personne.

Alors les nouveaux poèmes
Ne seront plus récités ? s’écrie le poète en larmes
C’est mieux que d’être assassinés
Lui répondit le spécialiste
Non vraiment c’est trop dommage
J’aimais bien être porté
Par les lèvres des enfants
Et tant pis si je souffrais
Au moins pour eux j’existais
N on ! Pitié ! Laissez-moi revenir
dans le cœur des enfants par cœur

Et c’est ainsi que le poème
glissa tout doucement
dans l’oreille d’un enfant :

Après que tu m’aies lu
si je t’ai plu
ne me jette pas,
apprends-moi par cœur
et puis efface-moi ! 

 

 

Les mots parfois il faut les laisser faire
Les laisser nous emmener
Bien au-delà des frontières
Que nos cahiers ont créées
On est là on est assis devant une page blanche
Avec des petits carreaux
Qui ressemblent à des barreaux
De prisons pour adjectifs
Rien ne vient pas même un bruit
Et même si le camion des ordures
Déboule dans la rue
On ose à peine l’écrire
Et l’on jette son poème dans le camion qui le mangera. Et puis est venu
L’ouragan des mots calmes
Un orage lourd d’oranges
Dont le jus de pluie
A mouillé ma langue
Cet ouragan de mots calmes s’est logé chez moi
Il a ouvert ma lucarne
Fait un feu de bois
J’ai quitté heureux la page qui est mon logis
J’ai embrassé les mots calmes sur leurs joues de roses Et j’ai dit à l’ouragan
Qu’il pouvait rester
Le temps qu’il voulait
Dans le ciel de mon cahier.

La musique des mots
Monsieur
Je dis que c’est de la motsique
Y a des sons partout
C’est comme une clique
D’instruments curieux
Ça vous fait une mosaïque dans l’oreille
Qui curieusement a du sens
Que les mots n’auront jamais
C’est pour cela que la musique des mots
Ce n’est pas de la musique
C ’est de la motsique.
Et voilà.